Définitions Préliminaires
Définition
Constitution
Le texte juridique fondamental qui organise les institutions d'un État et garantit les droits de ses citoyens.
Droit Dérivé
Ensemble des actes pris par les institutions de l’Union Européenne qui dérivent des traités de l’UE, incluant notamment les règlements, directives et décisions.
La Position du Conseil Constitutionnel
Dans ses premières décisions, le Conseil Constitutionnel est confronté à des actes de lois transposant des directives européennes et leur compatibilité avec la Constitution. Historiquement, le Conseil a refusé de contrôler la conventionnalité des lois (décision IVG de 1975), affirmant que son rôle n’était pas de vérifier le respect par les lois des traités. Cependant, la transposition des directives pose le défi de l’alignement de ces lois avec la Constitution. Lorsque le législateur transpose une directive, il le fait avec une marge de manœuvre souvent limitée, adoptant des lois qui peuvent être examinées par le Conseil Constitutionnel pour des questions d’inconstitutionnalité.
Le dilemme réside dans le fait qu'une loi non conforme à la Constitution ne peut être promulguée, plaçant ainsi la France en défaut vis-à-vis de ses engagements européens. Une solution implicite proposée est de faire confiance à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour veiller au respect des droits fondamentaux, ce qui questionne ce qui sera défendu dans le cadre des standards européens.
Dans des décisions préalables à 2004 (1978, 1994, 1996), le Conseil Constitutionnel réussit à se prononcer sur des lois de transposition sans directement remettre en question la transposition elle-même, quelquefois en raison de griefs non dirigés sur les éléments de transposition des directives. En 2004, lors de la décision sur l’économie numérique, le Conseil rappelle que la transposition des directives est une exigence constitutionnelle à laquelle il ne peut être fait obstacle qu’en présence de dispositions expressément contraires contenues dans la Constitution.
Le Conseil établit en 2006, avec la décision 'droit d’auteur', que la transposition ne doit pas aller à l’encontre de règles ou de principes inhérents à l'identité constitutionnelle de la France. Cette formule, maintes fois réutilisée, protège essentiellement l'exception française dans le contexte des intégrations européennes.
Suite à une décision marquante du 15 octobre 2021, le Conseil identifie un principe inhérent à l'identité constitutionnelle française : l'impossibilité de déléguer des compétences de police administrative à des entités privées. Le Conseil Constitutionnel, tout en s'inspirant d’autres cours constitutionnelles, choisit sa propre voie en ce qui concerne la défense de l'identité constitutionnelle par rapport aux normes européennes, évitant ainsi un devoir d’alignement rigide avec la CJUE sur ces aspects.
La Position des Juges Ordinaires
Le Conseil d'État (CE) et la Cour de Cassation ont également leur rôle lorsque des directives européennes sont en jeu. Le CE a posé sa position dans le cadre de l'arrêt 'Syndicat national de l'industrie pharmaceutique' du 3 décembre 2001, déclarant que la primauté du droit européen ne peut remettre en cause la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne.
Contrairement au Conseil d'État, la Cour de Cassation n'a pas toujours été aussi explicite. Dans l’arrêt 'Fraisse' du 2 juin 2000, elle reconnait que la Constitution est supérieure au droit international sans spécifiquement évoquer le droit communautaire. Une évolution notable se produit avec l'arrêt 'Arcelor' du Conseil d'État en 2007, qui précise que le principe de transposition des directives est une obligation constitutionnelle, à moins qu’une disposition constitutionnelle spécifie le contraire.
Notons aussi les contributions de la Cour de cassation avec deux arrêts du 16 avril 2010, où elle considère que l'art 88-1 Constitution aligne l'ensemble du droit de l'UE dans l'ordre juridique français et remet en question le mécanisme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) au regard du droit de l'UE. La CJUE a dû se prononcer pour s'assurer que l’application du mécanisme QPC est conforme avec le droit de l'UE, avec réserve que celui-ci ne freine pas l'effectivité des mesures requises pour remédier à des contrariétés avec le droit de l'UE.
Malgré certaines divergences, la primauté de ce que considèrent le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'État prévaudra généralement. Cependant c’est à travers la notion complexe d’identité constitutionnelle que plusieurs juridictions suprêmes semblent trouver un certain équilibre, tout en respectant la suprématie constitutionnelle nationale tout en honorant implicitement les obligations internationales et communautaires.
A retenir :
La confrontation entre le droit dérivé et la Constitution met en lumière le défi de l'intégration européenne dans un cadre constitutionnel français rigide. Le Conseil Constitutionnel joue un rôle crucial en assurant l'équilibre entre le respect des obligations européennes et la sauvegarde de l'identité constitutionnelle française. Les juges ordinaires, y compris le Conseil d'État et la Cour de Cassation, partagent cette responsabilité tout en interprétant les directives dans le cadre constitutionnel. En revanche, la transposition des directives européennes reste une tâche complexe, nécessitant un constant ajustement entre ces obligations et la souveraineté législative nationale, garantissant ainsi un respect mutuel avec le droit de l'UE.