TITRE I : Les Évolutions du Droit des Finances Publiques
Chapitre 1 : Les origines du droit des finances publiques
Section 1 : L'Ancien Régime (AR) et la Révolution
Paragraphe 1 : Les Finances Royales
- Origine et Organisation :
- L’organisation financière du royaume préfigure celle de l’État royal.
- Dès le 12ᵉ siècle, le pouvoir est partagé entre :
- Pouvoir royal (exécutif) : préparation et exécution des finances.
- Assemblées représentatives : revendication d’un contrôle des finances.
- Le développement des finances royales structure l’organisation politique et administrative.
- Principes Structurants des Finances Royales :
- A. Établissement des contributions fiscales : Privilège royal.
- Finances ordinaires :
- Ressources traditionnelles issues des fiefs (corvées, taille, etc.).
- Liées à la sédentarisation et à la protection des populations.
- Finances extraordinaires :
- Nées du besoin de financer des projets nationaux (guerres, infrastructures).
- Introduction de nouveaux impôts sous Philippe Le Bel (12ᵉ siècle).
- Exemples : taille royale, impôt sur le sel, imposition foraine.
- Justification : notion de "commun profit", base du bien commun.
- B. Contrôle de l’impôt : Rôle des assemblées représentatives.
- Affirmation progressive du droit de contrôle des représentants de la nation.
- Existence de juridictions spéciales (Chambre des comptes) pour gérer les contentieux financiers.
Paragraphe 2 : Revendications parlementaires en matière financière en Grande-Bretagne
- La Grande Charte (1215) : Fondement des droits financiers modernes.
- Texte révolutionnaire garantissant les droits naturels des sujets.
- Consacre le consentement à l’impôt : le roi doit obtenir l’accord de ses sujets avant tout prélèvement fiscal.
- Affrontements financiers entre le roi et le parlement :
- Dès le 14ᵉ siècle, revendications croissantes pour le contrôle des finances.
- Pétition des Droits (1628) : impose au roi de justifier fiscalement ses décisions.
- Introduction de l'annualité budgétaire : contrôle annuel des finances royales par le parlement.
- Crise du Ship Money (1620-1640) :
- Conflit lié à une taxe maritime imposée unilatéralement par le roi Charles Iᵉʳ.
- Opposition des communes, affirmant leur droit de contrôle sur toutes les ressources fiscales.
- Résolution : adoption d’un texte en 1688 qui limite les pouvoirs financiers du roi.
Section 2 : Lien entre finances et révolution française
- Conflits financiers et révolution :
- Les tensions financières entre le pouvoir royal et les représentants parlementaires en Grande-Bretagne inspirent la révolution française de 1789.
- Affirmation du rôle des assemblées dans la gestion et le contrôle des finances publiques.
Les origines financières de la Révolution française
La Révolution française trouve une de ses origines principales dans l’échec du royaume à réformer et moderniser ses finances. Cette crise financière met en lumière deux causes majeures : l’inadaptation du système fiscal de l’Ancien Régime et l’impossibilité de le réformer efficacement.
A. L’inadaptation du système fiscal royal
Le système fiscal sous l’Ancien Régime souffrait de deux grands défauts :
- Désorganisation et faible rentabilité des impôts :
- Les recettes fiscales étaient insuffisantes pour couvrir les dépenses croissantes du royaume, notamment celles liées à la guerre et au faste de la cour.
- L’assiette fiscale reposait principalement sur les revenus fonciers (agriculture), ce qui limitait les ressources disponibles face à l’évolution économique.
- Extrême inégalité fiscale :
- Les impôts pesaient principalement sur le tiers état (paysans, artisans, commerçants, bourgeois), tandis que la noblesse et le clergé, exemptés, échappaient presque totalement à l’effort fiscal.
- Cette inégalité reposait sur l’argument que la noblesse payait « l’impôt du sang » en servant dans les guerres, une justification devenue obsolète.
Les tentatives de modernisation fiscale
Face à cette crise, de nouveaux impôts furent instaurés dès la fin du XVIIe siècle :
- La capitation (1695) : une taxe prélevée sur chaque foyer, répartie en 22 classes sociales. Bien qu’ambitieuse, elle manquait d’équité car elle ne tenait pas compte des revenus réels.
- Le dixième et le vingtième : impôts proportionnels sur les revenus agricoles, immobiliers et commerciaux. Modernes sur le principe, ces impôts peinaient à s’imposer face à la résistance des classes privilégiées.
Le Parlement de Paris, composé essentiellement de nobles, s’opposait farouchement à toute réforme visant à élargir l’assiette fiscale à la noblesse et au clergé. Cette institution, renforçant son droit de remontrance (qui obligeait le roi à informer et consulter le Parlement), constituait un contre-pouvoir hostile aux réformes fiscales.
B. L’impossibilité de réformer le système fiscal
Louis XVI, confronté à la crise financière dès son accession au trône en 1774, tenta d’engager des réformes avec l’aide de ministres compétents.
- Dupont de Nemours et le projet de municipalités consultatives :
- Économiste et théoricien de la physiocratie, Dupont proposa de généraliser l’imposition à tous les propriétaires, quelle que soit leur classe sociale, via des assemblées représentatives.
- Le Parlement rejeta ce projet, craignant une remise en cause des privilèges de la noblesse.
- Jacques Necker et l’expérimentation locale :
- Necker réussit à introduire timidement certaines réformes en expérimentant de nouvelles méthodes fiscales sur des territoires restreints. Cependant, la noblesse, informée par le prince de Provence (frère de Louis XVI), s’opposa à une généralisation.
- Calonne et l’impôt unique :
- Contrôleur général des finances, Calonne proposa de remplacer tous les impôts existants par un impôt unique. Pour convaincre la noblesse, il convoqua une assemblée de notables en 1787. L’échec de cette initiative entraîna sa démission et accroît la méfiance entre le roi et la noblesse.
- L’édit de juin 1787 et le lit de justice de 1788 :
- L’édit visait à préparer une rénovation des états généraux pour renforcer la représentation du tiers état.
- Le conflit entre le roi et le Parlement atteignit son apogée lorsque Louis XVI imposa par lit de justice l’enregistrement des édits royaux, provoquant un blocage institutionnel.
La convocation des états généraux (1789)
Devant l’impasse, Louis XVI convoqua les états généraux pour le 5 mai 1789. C’était la première fois depuis 1614 que cette institution, représentant les trois ordres (clergé, noblesse, tiers état), se réunissait.
Les cahiers de doléances, ouverts pour recueillir les revendications fiscales et politiques de tout le royaume, connurent un immense succès. Ces revendications, combinées au refus du roi d’accorder une double représentation au tiers état et un vote par tête, exacerbèrent les tensions. Cette crise aboutit à l’émergence de l’Assemblée nationale et à la Révolution française.
En somme, l’Ancien Régime fut incapable de répondre aux exigences d’un monde en mutation économique et sociale. La résistance des élites privilégiées face aux réformes fiscales fut un catalyseur majeur des événements révolutionnaires.
Section 2 : Les principes juridiques issus de la Révolution française
Paragraphe 1 : Les principes révolutionnaires
La Révolution française a instauré trois grands principes financiers en réponse à l’affirmation de la souveraineté nationale et de l’égalité des citoyens devant la loi.
A - Le principe de permanence de l’impôt
- Avant la Révolution :
- Impôts ponctuels et non généralisés sous l’Ancien Régime.
- Après 1789 :
- L’impôt devient permanent et obligatoire.
- Basé sur les idées modernes : vivre en société implique un coût financier partagé par tous.
B - Le principe du consentement des citoyens contribuables à l’impôt
- Fondement révolutionnaire :
- Inspiré de la souveraineté nationale : le pouvoir repose sur le consentement des citoyens.
- Article 14 de la DDHC :
- Droit des citoyens de consentir librement à l’impôt, de suivre son usage et d’en contrôler l’emploi.
- Pose les bases :
- Du contrôle parlementaire (régime parlementaire).
- De la revendication citoyenne pour demander des comptes aux gouvernants.
C - Le principe d’égalité des citoyens devant l’impôt
- Article 13 de la DDHC :
- L’impôt doit être équitablement réparti en fonction des moyens des citoyens.
- Conséquences :
- Fin des privilèges fiscaux et des ordres sociaux de l’Ancien Régime.
- Mise en place d’une contribution publique proportionnelle.
Paragraphe 2 : Les grands principes de la période classique (19e siècle)
A - La liaison entre principe budgétaire et régime parlementaire
- Contexte politique :
- Restauration monarchique (Charte de 1814) après une période de troubles révolutionnaires.
- Développement du contrôle parlementaire en matière de finances publiques.
- Rôle du baron Louis :
- Ministre des Finances sous Louis XVIII.
- Justifie le contrôle budgétaire des chambres parlementaires (article 17 de la Charte de 1814).
B - L’affirmation progressive des grands principes budgétaires
Trois grands principes naissent sous la Restauration et deviennent les piliers des finances publiques modernes :
- Principe de l’annualité budgétaire :
- Dépenses et recettes doivent être prévues pour une année civile.
- Conséquences :
- Prévisions budgétaires limitées à un an.
- Contrôle annuel des finances par le Parlement.
- Principe de l’unité budgétaire :
- Toutes les dépenses et ressources figurent sur un document unique (le budget).
- Objectif : clarté et contrôle parlementaire.
- Principe de l’universalité budgétaire :
- Les recettes et dépenses doivent être présentées sans contraction.
- Assure transparence et contrôle rigoureux des finances publiques.
Principes complémentaires (19e et 20e siècles)
- Spécialité budgétaire : Affectation précise des crédits à des dépenses spécifiques.
- Équilibre budgétaire : Recettes et dépenses doivent être équilibrées.
- Sincérité budgétaire : Chiffres doivent refléter fidèlement la réalité.
Résumé des articles clés de la DDHC (1789)
- Article 13 : Égalité et proportionnalité de la contribution publique.
- Article 14 : Consentement à l’impôt et contrôle citoyen.