Compétence du juge administratif (JA) en matière de logement :
- Surprise initiale :
- Le logement semble a priori relever du juge judiciaire (contrats civils et commerciaux, droit de propriété).
- Toutefois, l’intervention de l’administration justifie la compétence du JA :
- Amont : Intervention dans la production de logements.
- Aval : Pouvoirs de police administrative (ex. : lutte contre les logements insalubres).
Le droit au logement : un objectif de valeur constitutionnelle (OVC) :
- Consécration par le Conseil d’État (CE, 19 janvier 1995) :
- Reconnaissance du droit au logement comme OVC.
- Effets :
- Permet de déroger à d’autres principes constitutionnels, notamment le droit de propriété.
- Obligation pour les autorités publiques et privées de respecter cet OVC.
- Position du Conseil constitutionnel (CC) :
- Reconnaît la possibilité pour chacun de disposer d’un logement décent (OVC).
- Refuse cependant de consacrer un droit constitutionnel au logement, afin de préserver :
- La possibilité d’expulsions.
- L’équilibre avec d’autres droits fondamentaux (notamment le droit de propriété).
Difficulté pour le juge administratif :
- Conciliation nécessaire :
- D’une part : Assurer l’accès au logement décent comme objectif constitutionnel.
- D’autre part : Préserver d’autres droits fondamentaux (ex. : droit de propriété).
Double intervention du JA en matière de logement :
- Droit au logement : Garantir son effectivité en tant que support d’autres droits et libertés fondamentaux (DLF).
- Réglementation et police : Réguler et contrôler les conditions de logement via le droit administratif.
§1. La planification du logement.
- Objectif de construction de logements sociaux.
- Base légale : Loi SRU, imposant au moins 20 % de logements sociaux dans certaines communes (notamment en Île-de-France).
- Sanctions financières : Pour les communes ne respectant pas cet objectif.
- Jurisprudence clé :
- CE, 2 juillet 2021, Commune de Neuilly-sur-Seine :
- Neuilly n’a atteint que la moitié de son objectif pour la période 2005-2007.
- Justification invoquée : Coût élevé du foncier et absence de terrains.
- Décision : Le Conseil d’État rejette ces arguments en raison de l’absence d’un programme local de l’habitat (PLH) et de la non-adaptation des documents d’urbanisme.
2. Respect des prescriptions du PLH (Programme Local pour l’Habitat).
- Base légale : Article L.302-7 du CCH.
- PLH :
- Document de planification élaboré par les EPCI (Établissements Publics de Coopération Intercommunale).
- Permet de gérer et affecter le foncier à la construction de logements.
- Acte faisant grief, donc contestable devant le juge administratif.
- Jurisprudence clé :
- TA Toulouse, 20 mai 2021 : PLH reconnu comme un acte faisant grief.
- CE, 15 juillet 2020 : Une commune ne peut pas invoquer à tort le droit de préemption pour des logements sociaux non prévus dans le PLH.
§2. L’attribution du logement.
- Base légale : Article L.411 du CCH (définit le SP du logement social).
- Les OPH (Offices Publics de l’Habitat), bien qu’établissements publics, sont des EPIC (donc soumis au droit privé).
- Jurisprudence clé :
- TC, 24 mai 2004, Consorts Garcia :
- Le bail est régi par le droit privé.
- Cependant, l’attribution ou le refus d’un logement social relève d’un acte administratif.
- TC, 9 mai 2016 : Confirmation que le refus d’attribution d’un logement social peut être contesté devant le JA.
§3. Le droit à l’hébergement (DAO : Droit à l’Hébergement Opposable).
- Distinction logement/hébergement :
- Logement = durable.
- Hébergement = temporaire (pour SDF ou personnes précaires).
- Base légale : Article L.345-2-2 du CASF (Code de l’Action Sociale et des Familles).
- Jurisprudence clé :
- CE, ordonnance du 10 février 2012 :
- Consacre le droit à l’hébergement d’urgence des SDF comme une liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du CJA.
- Possibilité de faire un référé-liberté en cas de refus d’hébergement
§1. Les conditions d’accès au DALO.
- Base légale : Article L.441-2-3-1 du CCH.
- Critères d’éligibilité (7 cas principaux) :
- Être sans domicile.
- Menacé d’expulsion sans relogement.
- Hébergé depuis plus de 18 mois.
- Logé dans des conditions indécentes (insalubrité, manque d’eau potable, etc.).
- Logement surpeuplé (norme : 16m² pour un couple + 9m²/personne supplémentaire).
- Locaux impropres à l’habitation.
- Absence de réponse après une demande de logement depuis un délai anormalement long.
§2. La procédure du DALO.
- RAPO (Recours Administratif Préalable Obligatoire) :
- Passage obligatoire devant une commission de médiation (COMED).
- Si reconnaissance de la priorité, une offre de logement doit être proposée sous 3 ou 6 mois.
- En cas d’échec, le demandeur peut saisir le juge administratif.
- Jurisprudence clé :
- CE, 21 juillet 2009, Mme Idjihadi :
- Le juge ne contrôle pas la légalité des décisions de la COMED.
- Rôle du juge : Vérifier si la décision prioritaire a été respectée
§3. Pouvoirs du juge.
- Injonction et astreinte spécifiques (article L.441-2-3-1 du CCH).
- Création d’un fonds spécial pour améliorer l’accès au logement (financé par les astreintes).
§1. Les occupants sans titre.
Le juge administratif garantit des conditions minimales de vie aux occupants sans titre :
- Loi DALO (2007) : Interdit la remise à la rue sans solution alternative.
- Article 3 CIDE : Protège les enfants en assurant la continuité de l’hébergement, notamment pour préserver leur scolarisation.
- CE, 28 juillet 2017 : Suspension d’une expulsion d’une famille avec enfants sans solution de relogement, en invoquant la continuité de l’hébergement.
Cas particuliers :
- Détenus :
- CE, 19 octobre 2020 (JP des rideaux) : Absence de séparation des sanitaires en prison jugée inhumaine (CEDH).
- Logements insalubres :
- Article L.521-3-1 CCH : Obligation de relogement incombe au maire/préfet en cas de défaillance du propriétaire.
- QPC, 5 octobre 2016 : Obligation de relogement par les aménageurs jugée constitutionnelle.
§2. Les logements insalubres ou indignes.
- Base légale : Article L.521-3-1 du CCH.
- Obligation pour le propriétaire de reloger les occupants, ou à défaut, obligation pour le maire/préfet.
- Jurisprudence clé :
- QPC, 5 octobre 2016, n°2016-180 :
- Constitutionnalité de l’obligation de relogement imposée aux aménageurs dans une opération d’aménagement
§1. Sécurité des lieux.
- Contentieux des permis de louer :
- Certaines communes exigent un permis de louer pour prévenir les marchands de sommeil.
- Le juge administratif contrôle la légalité du refus ou de la délivrance du permis dans le cadre d’un recours de plein contentieux (référence : TA Montpellier).
- Contrôle des arrêtés déclarant un logement insalubre :
- La déclaration d’insalubrité est régie par le Code de la santé publique (articles L.1331-26 et suivants).
- Dans une décision du CE du 15 avril 2011, le juge a précisé que la disproportion du coût des réparations ne justifie pas l’annulation de l’arrêté, et l’insalubrité doit être évaluée à la date du jugement, pas à celle de l’arrêté.
- Les arrêtés de péril imminent :
- Le maire peut prendre des arrêtés de péril imminent pour protéger la sécurité publique.
- Le contentieux relève du plein contentieux, et la légalité de l’arrêté est appréciée à la date du jugement (CE du 23 décembre 2020, commune de Régny).
§2. Maintien des réseaux et dignité humaine.
- Refus de raccordement au réseau EDF :
- Dans la décision CE du 24 mars 2014, le juge administratif a annulé le refus du maire de raccorder une habitation au réseau EDF, soulignant que ce refus contrevenait à l’obligation de maintenir l’habitabilité, sauf justification de sécurité.
- La jungle de Calais :
- Concernant le camp de la jungle de Calais, le CE, ordonnance du 23 novembre 2015, a jugé qu’un camp, bien que illégal, relève du principe de la protection de la dignité humaine et de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants.
- Le CE a enjoint l’État à prendre des mesures pour répondre aux besoins vitaux des habitants, notamment l’accès à l’eau et à l’hygiène.
- Le juge rappelle que la responsabilité de l’habitabilité incombe non seulement à l’État, mais aussi à tout détenteur du pouvoir de police générale (commune, etc.).