PROPOS INTRODUCTIF ET SENS D'UN ENSEIGNEMENT
Qu'est-ce que l'histoire des idées ?
La politique vient du grec polis », la cité. C'est la forme institutionnelle au sein de laquelle est apparue la démocratie que l'on applique actuellement. Il peut y avoir plusieurs manières d'envisager la politique. Max Weber la voit comme un rapport de force: certains ont le pouvoir, d'autres y sont soumis, et la logique d'affrontement domine. A l'inverse, Hannah Arendt explique que la politique est « l'espace qui se trouve entre les hommes >> : c'est alors une logique de rencontre, de recherche d'harmonie.
Ce qui est certain, c'est que l'Homme n'a pu aborder la vie en communauté sans se poser les questions essentielles traitées en histoire des idées politiques. Qui doit gouverner ? D'où doit venir la légitimité du chef? Les Egyptiens, les Hébreux ou les Chinois se sont penchés très tôt sur ces questions, même si ce sont les Grecs qui font de la politique, pour la première fois, une véritable science.
A ce stade, une première remarque peut être faite chez les Grecs, la politique n'est finalement, qu'une branche de la philosophie. Mutatis mutandis, il en va toujours ainsi aujourd'hui; l'histoire des idées, en tant que matière enseignée à l'Université, est le point de confluence de bien des disciplines: l'histoire, bien sur, mais également le droit, la science politique, la sociologie, parfois même l'économie... Passionnante et foisonnante, cette discipline requiert pour qui veut l'étudier de l'humilité, de la culture et une grande faculté d'abstraction.
Une autre difficulté majeure de l'histoire des idées politiques est de devoir composer avec la subjectivité. Des personnes étudiées d'abord: les questions liées à l'exercice du pouvoir trouvent presque autant de réponses qu'il y a d'auteurs, et l'objectivité prétendue de l'un peut être rejetée par son contempteur. Des personnes qui l'étudient, ensuite puisque le monde des idées est celui de l'interprétation, chaque lecteur peut, en fonction de ses sensibilités propres, trouver chez un auteur des lignes à même d'étayer sa propre vision du monde. Pour l'ensemble de ces raisons, l'histoire des idées politiques est une matière difficile à appréhender.
Le présent cours a, dès lors, la modeste ambition de proposer une synthèse de grands auteurs et courants de pensée, et veut se placer comme un complément aux enseignements et aux manuels déjà existants. Il n'affiche aucunement la prétention d'être exhaustif, mais se présente comme une entrée en matière indispensable aux étudiants qui s'intéressent à la discipline. La démarche chronologique, de l'Antiquité au XXème siècle, a été retenue dans un souci de clarté, et permet de comprendre l'évolution de la pensée politique occidentale Une dernière fiche, enfin, propose une ouverture sur la pensée orientale et africaine de moins en moins étudiée dans nos facultés.
L'époque archaïque est marquée par le développement des cités, mais si le modèle monarchique des siècles passés s'est éteint, la démocratie ne s'est pas encore installée. Les grands propriétaires fonciers forment une aristocratie qui domine la vie politique. Les conquêtes militaires, l'essor des colonies et l'expansion du commerce maritime permettent aux communautés grecques de s'enrichir, bien que ces richesses ne profitent pas à tous. L'aristocratie et les commerçants mènent une vie aisée alors que les agriculteurs, en dehors des profits liés au commerce maritime, vivent dans un état de grande précarité. La concentration des propriétés terriennes par les grandes familles et l'écart de richesse entre les différentes classes sociales débouchent sur des soulèvements sociaux qui mettent en péril la cohésion des cités.
A Athènes, le recours aux législateurs pour apaiser ces tensions fait entrer la polis dans l'âge de la loi. Les réformes de Solon (env.-640/ env.-558), archonte et législateur athénien. permettent de rétablir un équilibre politique ainsi que l'homogénéité du corps social. Solon considère comme fondement de l'eunomia (principe politique de Solon que l'on peut traduire par << juste équilibre », « harmonie ») la liberté de tout citoyen, le droit de voté, le droit de regard sur la politique de la cité sans compter le droit de rendre la justice. C'est ce qu'il réussit à garantir par la mise en place de différentes réformes. Il participe à la rédaction de lois écrites qui sont applicables à l'ensemble des citoyens, aux agriculteurs comme aux propriétaires terriens. Si son action vient limiter le pouvoir des familles aristocratiques, elle ne fait pas d'Athènes une véritable démocratie. Solon impose le respect d'une équité entre les groupes sociaux en fonction du mérite de chacun: l'accès aux magistratures n'est plus fondé sur la naissance, mais sur la fortune. Sa législation est une étape décisive dans la démocratisation d'Athènes puisqu'elle introduit l'équilibre et la sagesse dans le gouvernement de la cité.
Un nouveau législateur, Clisthène (env. -565/ env. -492), vient parachever ce processus quelques décennies plus tard. Celui-ci arrive dans un contexte particulier qui fait suite à la tyrannie des Pisistratides. Après la chute de ce régime aux alentours de -510, la politique modérée de Clisthène est accueillie favorablement. Ses réformes permettent d'ancrer la démocratie: tous les citoyens participent également aux institutions de la vie publique; une assemblée du peuple, l'ecclesia, détient un pouvoir politique prépondérant en votant les lois, le budget, la guerre ou en désignant certains magistrats; une réforme territoriale regroupe les citoyens en fonction des zones géographiques. La cohésion du corps social en sort renforcée. Plus tard, le magistrat Périclès (env. -495/429) vient renforcer le système démocratique mettant en place une rétribution des charges (le misthos) afin de permettre aux plus démunis de participer à la vie de la cité.
1.2. Les caractéristiques de la démocratie athénienne
Quand commence la période classique au début du Vème siècle avant notre ère, les mentalités grecques, et particulièrement athéniennes, ont majoritairement adopté les caractères de ce qui fonde un modèle démocratique. Les bonnes lois engendrent une concorde entre les citoyens, ce qui assure un ordre général favorisant la paix et la prospérité. Outre la liberté, définie par Aristote (-385/-323) comme le fait d'être tour à tour gouverné et gouvernant, la démocratie athénienne repose sur un principe d'égalité. Avec les réformes mises en place au siècle précédent, les lois de la cité sont adoptées grâce à une majorité numérique (participation de l'ensemble des citoyens) et non plus en raison d'un élément qualitatif (naissance ou richesse).
L'égalité des citoyens repose sur trois éléments:
A.L'Isocratie, qui consiste à permettre à l'ensemble des citoyens de participer à l'exercice du pouvoir:
B.L'Isonomie, qui est l'égalité des droits politiques des citoyens. Il s'agit de l'égalité devant la loi, de l'obligation de remplir ses devoirs civiques (assises aux assemblées, effectuer son service militaire...) et du partage de la citoyenneté qui entraîne des privilèges face aux non- citoyens (accès à la propriété foncière);
D.L'Iségorie, qui est l'égalité de parole. Fondement de la démocratie, cette liberté d'expression permet à chaque citoyen de s'exprimer librement dans des assemblées ou sur la place publique pour proposer des lois ou défendre son point de vue.
Si la démocratie athénienne s'étend sur un peu plus de deux siècles, celle-ci a connu de nombreux détracteurs et des soubresauts liés à des épisodes tyranniques. Une partie de la noblesse et certains des grands propriétaires fonciers souhaitent une remise en question des institutions qui leur serait plus favorables. Des personnages comme Aristophane, Isocrate, Xénophon ou même Platon seront critiques du modèle démocratique qu'ils estiment dévoyé.
Enfin l'histoire d'Athènes est indissociable de la pratique de l'esclavage. La démocratie athénienne, telle qu'elle a pu être exercée, est liée à cette pratique. Les Grecs de l'époque ne remettent pas l'esclavage en cause puisque cette institution naturelle. Surtout, les esclaves de la cité permettent aux citoyens de consacrer le temps considérable par leurs différents devoirs civiques.
1.3. Les penseurs de l'époque classique: Socrate, Platon et Aristote.
Parmi les nombreux philosophes issus du sol de la Grèce, Socrate, Platon et Aristote occupent une place prépondérante. La pensée de Socrate (470:399) nous est prévenue grâce aux écrits de ses disciples et est considérée comme étant au fondement de la pensée en Occident. Son principal apport est d'avoir mis son intelligence au service de la vérité. Socrate élève le savoir, la raison (le logos) au niveau de la vertu. Il cherche à comprendre, par le raisonnement, l'origine de toute chose qu'est-ce que le Beau? Qu'est-ce que le juste? Qu'est-ce que le vrai ? Sa méthode est celle du dialogue contradictoire la dialectique pour parvenir à saisir la véritable réalité.
Son disciple, Platon (-428/347), poursuit la mission philosophique de son maître. Il fonde une école vers-387, l'Académie, dans laquelle est livré un enseignement gratuit, à l'inverse de celui des Sophistes. Alors que les philosophes fondent leur enseignement sur la métaphysique. les Sophistes sont accusés de délivrer un savoir principalement rhétorique visant à convaincre. Platon développe plusieurs idées:
. la théorie des idées: le philosophe explique la connaissance, la possibilité de comprendre une idée générale (le Beau, le juste). Pour Platon, seul le monde des idées est réel et la réalité du monde sensible n'existe que par sa participation au monde intelligent. L'allégorie de la caverne en est le meilleur exemple;
B. la cité idéale: Platon détaille dans La République, son idée d'une cité idéale. Pour lui, la construction de la cité peut se penser rationnellement afin d'en permettre le meilleur fonctionnement possible. Il imagine un espace géographique organisé avec un nombre de citoyens limité. Cette idée, utopique, ne sera jamais réalisée;
C. le philosophe-roi: dans le Politique, Platon indique que seul le philosophe est apte à faire de la politique. Sa connaissance et les vertus qui sont les siennes font de lui le personnage adéquat pour diriger la cité. Selon Platon, ces hommes de Bien adopteront les meilleures lois pour assurer la cohésion et le fonctionnement de la polis.
Si Socrate est considéré comme le fondateur de la philosophie et Platon comme celui de l'art politique, la paternité de la science politique revient à Aristote. De ses écrits, deux idées majeures ressortent:
-celle du régime mixte, qu'il décrit comme le régime politique le plus équilibré. Après avoir étudié les régimes monarchique, aristocratique et démocratique (ainsi que leur dérive respective en tyrannie, l'oligarchie et démagogie), il postule que le meilleur régime serait celui qui mêle aristocratie et démocratie. La meilleure constitution doit garantir la qualité des magistrats et permettre aux citoyens de développer leurs vertus:
-celle du << Bien commun» qui affirme que les gouvernants d'une cité sont institués pour l'intérêt de ceux qu'ils gouvernent et non dans leur intérêt personnel. Cette idée se retrouve dans la res publica des Romains par la suite.